Nous vivons dans un monde où nous sommes constamment submergés par des images et des publicités de toute sorte, mais un trait en commun de la communication publicitaire d’hier et d’aujourd’hui est l’utilisation de figures féminines comme mascottes. C’est le cas pour la promotion de tout genre de produits ou services; ci-dessous un exemple d’affiches promotionnelles d’une bière, d’une marque de lait et d’une entreprise de logistique et transports maritimes.
Dans une société de consommation et des images comme l’est la nôtre, on aurait du mal à cerner si c’est la publicité qui influence la société ou vice versa, si ce sont les dynamiques sociales qui influencent la publicité et son emploi des images. Sans doute est-ce mutuel, réciproque.
Mais quelle est la femme qui ressort des images publicitaires ? Correspond-elle aux femmes que l’on fréquente au quotidien, dans la société réélle et à ces dynamiques ou relève-t-elle plutôt d’une caricature, qui exagère des traits propres à notre société (à vrai dire, pas trop flatteurs) comme le sexisme, le machisme, et qui exploite les fantasmes du public masculin ?
Comment l’image de la femme dans la publicité a-t-elle évoluée au file des années ? La publicité a-t-elle toujours tablé sur une femme vue par un prisme masculin ? Ou est-ce une tendance moderne, qui s’est affirmée avec la société de consommation de l’après-guerre ? Dans les deux cas, si la publicité est le miroir de la société, le portrait qui en ressortirait serait loin d’être réjouissant : que ce soit le signe d’une vision de la femme profondément enracinée et toujours difficile à déjouer, ou plutôt d’un renforcement des stéréotypes machistes depuis quelques décennies seulement, l’exploitation de la femme dans la publicité est un phénomène qu’il vaut la peine de creuser et sur lequel il faut s’interroger.
Les premières affiches
La femme a eu sa place dans la publicité déjà depuis la fin du XIX siècle, l’époque où ont vu le jour les affiches publicitaires. Elles ont tout de suite connu un énorme succès grâce à des techniques comme la lithographie et aux exigences promotionnelles des industries de la deuxième révolution industrielle. L’affiche publicitaire à ses débuts est un peu dans l’entre-deux, partagée entre la communication et l’art ; souvent confiées à des designers de renom, à des peintres ou illustrateurs célèbres la communication basée sur ces premières affiches exploite la notoriété même de leurs auteurs. Ces peintres ou dessinateurs se sont souvent formés sur les modèles de la peinture romantique de la première moitié du siècle, une peinture où la femme joue un rôle important, plus ou moins symbolique. Il suffit de penser à « La liberté qui guide le peuple » (1830) d’Eugène Delacroix, où une femme représentant la Liberté se met à la tête du peuple, les seins nus et les aisselles poilues. Parallèlement à cette tradition romantique, qui fait de la femme une allégorie, une image féminine dépourvue de symboles est mise en avant par les Impressionistes, les rebels défenseurs de la vérité optique, s’attardant sur des scènes de vie bourgeoise, qui furent refusés par le jury du Salon Officiel justement pour s’être écartés de la tradition accadémique romantique. A ce titre, un exemple parlant est « Le déjeuner sur l’herbe » (1863) d’Edouard Manet : une femme complètement nue, le regard provocatoire à l’adresse de l’observateur, y est peinte pendant qu’elle s’entretient avec deux hommes habillés élégamment.
Le premiers entrepreneurs et publicitaires s’approprient cette image de la femme qu’ils utilisent pour la promotion de leurs produits selon un axiome plutôt simple: le simple fait d’associer les produits à une femme belle et séduisante rendrait ces mêmes produits séduisants pour les clients. Et d’ailleurs, ils s’en remettent souvent à des artistes, qui étaient peintres avant tout et qui donc avaient une certaine familiarité avec les deux traditions picturales que l’on vient de décrire. La femme dans la publicité des premières affiches publicitaires réconcilient ces deux traditions e quelque sorte : elles sont à la fois très réalistes, et symboliques aussi, dans la mesure où elles servent à promouvoir autre chose, elles sont un moyen, non pas la fin. Parmi les illustrateurs célèbres nous rappelons Henri de Toulouse-Lautrec ou Alphonse Mucha.
La deux guerres
Les années qui ont précédé la Grande Guerre ont été marquées par des campagnes acharnées de propagande politique en faveur ou contre l’intervention militaire, l’enrôlement etc. Lors de la Grande Guerre, la nécessité de communiquer de manière directe et immédiate a fait passer les exigences esthétiques à l’arrière-plan. Pendant le deuxième conflit mondial, la femme dans la publicité est vue comme un élément fort, qui sert sa patrie, travaille et élève ses enfants pendant que les hommes se battent. L’entre-deux-guerres est caractérisé lui par un retour à la normale: les industries sont vite reconverties de la production militaire à la production civile et recommencent à produire à plein régime. Leurs exigences de communication sont donc les mêmes que celles de la Belle Epoque. Les affiches de cette périodes rappellent donc le style fleuri, liberty, un peu onirique des affiches de la fin du XIX siècle.
Le deuxième après-guerre
Avec la fin de la seconde guerre mondiale, la reprise économique et le troisième « boom » industriel, les foyers sont envahis par de nouveaux équipements électroménagers (lave-linge, lave-vaisselle, etc.). Les publicitaires exploitent donc l’image de la femme au foyer, de la ménagère pour la promotion de ce qu’à l’époque semblait des OVNIs qui révolutionneraient la vie domestique. Et cela parce que justement la femme au foyer était l’acheteur potentiel principal de ces produits. L’imaginaire auquel on fait référence plus ou moins explicitement est celui de la famille bourgeoise, patriarcale, où la femme reste à la maison, son cocon, et nourrit ses enfants en attendant que l’homme rentre du travail. Ce sont ces campagnes de communication à avoir été définies les premières comme « sexistes ». Et à en juger sur les images ci-bas, on comprend facilement pourquoi!
Les années 70 sont les années de la libération sexuelle de la femme, ce qui se reflète aussi dans les mascottes publicitaires féminines, visiblement plus libertines, voire même agressives, mais à l’inverse. Le monde de la publicité et de la communication, traditionnellement plus conservateur, profite de cette libération de la femme non pas pour en finir avec sa vision sexiste mais pour davantage la renforcer : les publicités de cette décennie montrent une femme réifiée, une femme-objet associée à n’importe quel type de produit, sans que l’on cherche à trouver un lien précis entre ce produit et la mascotte.
A partir des années 80 la représentation de la femme dans la publicité se diversifie et se libère partiellement (et momentanément) de certains stéréotypes machistes, qui voulaient la femme réléguée au foyer, prête pour satisfaire les besoins (sexuels aussi) des hommes. Voici que la femme travailleuse, avec une carrière prometteuse, fait son apparition dans la publicité de produits alimentaires précuits ou de voitures compactes conçues exprès pour les femmes, par exemple. On montre une femme libérée, autonome, indépendante, qui peut décider de son présent et de son avenir, mais toujours soucieuse de sa famille, de son homme et de ses enfants. Cette multiplication des types de femme dans la publicité répond à l’exigence de rapprocher la publicité de la réalité et de l’éloigner de stéréotypes désormais désuets, qui ne tiennent plus debout après les années 70.
Aujourd’hui
Certains stéréotypes sont tenaces et difficiles à mettre à mal. Si l’image de la femme réléguée dans la cuisine ou à la maison est désormais derrière nous, la femme-objet, une Vénus attrayante, provocatoire, séduisante est encore largement employée par les entreprises et les publicitaires dans leurs campagnes promotionnelles. Des mannequins minces, sinon maigres, le corps sculpté (souvent grâce à des retouches), lointains des femmes réelles, rondes se multiplient sur les supports publicitaires traditionnels et numériques. Mais il y a des femmes qui disent non et qui voudraient que l’on en finisse avec cette réification de la femme, réduite à simple objet sexuel : les mouvement d’opposition à cette image de la femme dans la publicité sont nombreux. Un exemple est l’association Women Not Object qui a lancé une campagne de mobilisation. Elle a diffusé une vidéo très simple et directe, qui s’adresse particulièrement aux nouvelles générations, les seules qui pourraient mettre fin à cette vision déformée de la femme dans la publicité.