Cela pourrait paraître absurde à une époque où tout est « social ». Pourtant, ce sont les réseaux sociaux mêmes qui semblent être en train de vouloir se débarrasser de l’adjectif « social », de cette étiquette désormais usée. Est-on confrontés à l’ennième évolution du monde numérique, du web et de nos interactions virtuelles? Ça se peut, puisque, comme le disait Agatha Christie, « un indice n’est qu’un indice, deux indices sont une coïncidence, mais trois indices font une preuve ». Maintenant, nous n’en sommes qu’à deux ; peut-être est-ce une simple coïncidence, et alors il ne nous reste qu’à attendre si le troisième va arriver, dans la foulée.
Mais procédons par ordre. Le premier réseau social à faire bouger les lignes dans cette direction nouvelle a été, il y a quelques semaines de là, un colosse (en peu, mal en point à vrai dire) tel que Twitter. La plateforme sociale des « gazouillis » a pris parti : dans les app store elle ne sera plus rangée dans la catégorie « Social Network » (où elle devait défier la concurrence de géants comme Facebook, mais aussi des derniers venus, de plus en plus prisés en vérité, comme Instagram et Snapchat), mais dans la catégorie « News ». Twitter ne table donc plus sur son rôle de communauté virtuelle, mais sur la possibilité qu’il offre à ses usagers de détérminer et suivre le fil de l’actualité. Ce double rôle de Twitter représente sa spécificité depuis son lancement il y a 10 ans, mais ce qu’il est important de relever ici est ce glissement, ce déplacement de l’accent, désormais mis sur le volet informatif et non plus sur la dimension sociale. Dans la catégorie « News », le réseau social connu pour la contrainte des 140 caractères n’a presque pas de concurrents directs, ce qui va lui conférer une visibilité qui avait un peu été amoindrie ces derniers temps.
Voici le premier indice. Le deuxième date de ces derniers jours et nous vient d’une plateforme qui n’est pas la dernière venue non plus à proprement parler : Pinterest. Le PDG de ce réseau social, Tim Kendall, a déclaré hier au mùicro de Fox Business Network : « Il ne s’agit pas d’un réseau social – a-t-il expliqué –, nous sommes un catalogue d’idées. » Vous direz : ce n’est qu’une subtilité. Et oui, on en train de se baser sur des définitions très fines, sur des différences observables seulement à la loupe, sur des tournures de phrase, bref, sur une stratégie de communication ; cependant, ces éléments sont le signe d’un changement de cap, d’un déplacement de l’axe, d’une posture nouvelle du monde des réseaux sociaux. Derrière cette déclaration de Tim Kendall, ses intentions s’affichent très clairement : le but est de s’élever au-dessus des autres plateformes sociales et de leur utilisation de plus en plus frivole, futile, légère, en mettant en avant l’utilité de Pinterest en tant que mine, réservoir d’idées nouvelles. Entre les lignes, on peut lire : si la navigation sur un autre réseau social peut s’avérer une perte de temps, Pinterest, lui, est utile, parce qu’on peut y repérer des idées. Là aussi, comme dans le cas de Twitter, il s’agit pour Pinterest de se repositionner dans le secteur des réseaux sociaux, afin de trouver un nouvel élan, de se distinguer des autres plateformes par la mise en avant d’une fonction jusque là présentée comme secondaire ou collatérale.
Mais cette fuite du réseau social du grand P de la catégorie « réseau social » cache d’autres raisons beaucoup plus concrètes. Tout d’abord, le fait que cette opération de communication lui donnera un grand coup de pouce sur le marché chinois, porteur de plus d’un milliard d’usagers potentiels, où les sites des social média sont souvent censurés. S’affirmer sur un tel marché signifierait évidemment un retour non-négligeable en termes de recettes pour Pinterest.
Il est d’ailleurs évident que le marché des apps est chaque jour plus peuplé de nouvelles propositions et plateformes, qui viennent souvent détrôner d’autres réseaux sociaux déjà enracinés, mais incapables de vivre avec leurs temps et de s’adapter à l’évolution constante et de plus en plus rapide des besoins des usagers. Dans un contexte aussi dynamique et imprévisible, il est difficile de se détacher, de se distinguer. Et si on n’a pas d’idées nouvelles, autant abandonner sa veste de réseau social et miser sur une autre étiquette, une retouche de son image. Rien de nouveau justement : la communication reste et restera toujours fondamentale.