Les rapports entre les institutions européennes et les géants du numériques n’ont pas toujours été idylliques. Dans l’effort communautaire d’enfin réaliser un marché unique numérique qui soit respectueux des libertés fondamentales, les multi-nationales du web ont souvent représenté des entraves, ne serait-ce que par leur puissance économique et leur influence. Le cas le plus éclatant date d’il y a quelques mois et concerne l’invalidation par la Cour de Justice de l’Union Européenne de l’accord dit « Safe Harbor » qui réglementait le tranfert des données personnelles des citoyens européens vers les Etats-Unis. Cet accord avait fait l’objet à plusieurs reprises de critiques acharnés, comme celles du lanceur d’alerte Edward Snowden, qui en 2013 avait dénoncé les programmes de surveillance de masse de la National Security Agency américaine.
L’affaire de justice la plus récente, datant d’octobre 2015, celle qui a débouché justement sur l’annulation de l’accord « Sphère de sécurité » (voici la traduction en français) par la CJUE, a été le résultat d’une action judiciaire initiée par l’étudiant de droit autrichien Max Schrems. Ayant vécu aux Etats-Unis pendant un certain temps, ce dernier a affirmé s’être aperçu de la non-compatibilité des normes américaines sur la protection des données personnelles avec les standards européens. C’est ainsi qu’il a porté plainte contre le siège européen de Facebook devant une cour irlandaise. Reconnaissant le manque de compétence pour juger sur cette matière, relevant du droit communautaire, le tribunal irlandais a fait remonter l’affaire jusqu’à la Cour de Justice de l’Union Européenne, basée à Luxembourg. L’arrêt de cette dernière a statué que l’accord Safe Harbor devrait être annulé puisque les garanties offertes par la législation américaine sur la privacy des citoyens européens n’étaient pas équivalentes à celles demandées par les normes en vigueur dans les 28 pays de l’Union Européenne. Ce n’est qu’un exemple de la méfiance communautaire vis-à-vis des géants du web et de leur capacité à agir dans le respect des libertés fondamentales reconnues aux citoyens européens par la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne.
Une alliance, cette fois-ci, vient d’être scellée entre la Commission Européenne et les plus grandes entreprises des technologies de l’information. Des noms de taille figurent dans la liste des signataires, tels que Facebook, Twitter, YouTube et Microsoft. Leur ennemi commun : les discours de haine illégaux en ligne, unanimement taxés de menace pour la liberté d’expression et d’opinion sur le Web. Fin mai, l’exécutif européen, présidé par l’ancien premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, et cette poignée de géants des TI se sont accordés sur un code de conduite qui vise à lutter conjointement contre le discours d’incitation à la haine et à la violence sur la Toile. Une réponse dont l’urgence s’est révélée soudainement. D’une part, les attaques terroristes de Paris et Bruxelles ont mis en lumière le phénomène de la radicalisation et du recrutement via les médias sociaux de certains jeunes européens prêts à grossir les files de Daesh en Syrie et en Iraq ou à prôner sa cause en Europe, de l’autre, la crise migratoire et les sentiments de peur et insécurité qu’elle inspire chez d’aucuns se trauisent de plus en plus souvent par des propos racistes, relayés sur le Web.
A l’occasion de la conclusion de ce code de conduite, la Commissaire Européenne de la justice, de la protection des consommateurs et de l’égalité des genres, la Tchèque Vera Jourová, a commenté : « Les récentes attaques terroristes nous rappellent à quel point il est urgent de lutter contre les discours de haine en ligne. Les médias sociaux font malheureusement partie des moyens utilisés par les groupes terroristes pour radicaliser des jeunes, et par les racistes pour répandre la violence et la haine.(…) Je me félicite de l’engagement pris par les leaders mondiaux des technologies de l’information d’examiner la majorité des signalements valides en moins de 24 heures et, s’il y a lieu, de retirer les contenus visés ou d’en bloquer l’accès. »