Est-ce que la photographie peut être un instrument d’enquête psychologique et sociologique? Un cliché peut-il pénétrer les plis de la psyche individuelle et collective, sociale? C’est autour de ces interrogations que Philippe Blayo, psychologue de formation, a développé son travail d’auteur-photographe. Un photographe urbain, qui cherche par ses photographies à explorer les relations entre l’homme et les espaces qu’il façonne et la manière dont ces espaces influencent le mode de vie des individus et de la communauté entière.
Découvrons-en plus grâce à cette entrevue, réalisée par la rédaction de Stampaprint, votre imprimeur en ligne spécialisé dans l’impression de drapeaux publicitaires et bâches personnalisées.
Pour mieux vous connaître, racontez- nous quel a été votre parcours.
Je suis psychologue de formation et de cœur. J’ai longtemps hésité entre la psychologie et la photographie avant d’entamer mes études et finalement la raison l’a emporté sur la passion. C’est certainement mieux ainsi car la passion pour la photographie est restée vraiment intacte, sans être altérée par la contrainte énorme de devoir vivre de ses images.
Ma démarche d’auteur a vraiment pris un tournant en 2008 lorsque j’ai décidé de « professionnaliser » ma démarche pour gagner en profondeur dans mes images et dans le message que je souhaite développer.
Au mois de mars dernier, vos photos ont été exposées dans une exposition collective intitulée « Flash ! », au Carpe Diem, 21 rue des Halles à Paris. De quoi s’est-il agi ?
L’initiative du Webzine FLASH ! est vraiment intéressante. Pour la première fois, cet excellent média web a décidé de mettre en valeur les auteurs qu’il avait publié. Aucune contrainte n’était fixée aux auteurs qui pouvaient exposer d’autres images que celles déjà présentées dans le magazine. J’exposais des images en noir et blanc issue de ma série « Beaugrenelle Noire », un polar photographique qui est toujours en cours de construction…
L’objectif de votre appareil photo est magnétiquement attiré par les paysages urbains. Pourquoi ?
Oui, je suis un photographe des villes ! Bizarrement pour un psychologue, ce qui attire mon regard, c’est souvent l’environnement, sa géométrie, les lumières qui le dessine. Ensuite viennent les gens qui apportent leur âme à ces lieux. Ils leur apportent une dimension supplémentaire. Mais de plus en plus, je me surprends à ne prendre que des paysages urbains, sans personne pour habiter le lieu. Je travaille de plus en plus sur l’absence, le manque, la soustraction.
J’aime les paysages urbains qui évoquent des histoires où chacun peut se projeter librement.
Paysage urbain, en général, mais surtout parisien. Vous avez consacré plusieurs projets à la Ville Lumière et à ses alentours dont vous restituez pourtant un portrait sombre, en choisissant le noir et blanc… Je pense par exemple à la série consacrée au quartier de Beaugrenelle.
Je tiens beaucoup à cette série « Beaugrenelle Noire ». C’est un projet ambitieux qui est toujours en cours. Je mets facilement 2 à 3 ans pour terminer un projet photographique.
Il s’agit d’un polar photographique en noir et blanc où j’introduis du mystère, des ombres inquiétantes, une atmosphère froide grâce à la géométrie extraordinaire du lieu.
J’en suis à une phase de collecte d’images. Idéalement, le projet prévois de travailler avec un écrivain pour mettre en mot ces images. Mais je dois trouver l’écrivain que les images inspirera !
Loin d’apprécier seulement la surface scintillante et « glamour » de l’urbanisation, votre objectif s’attarde aussi sur la périphérie (Trajet retour, Périurbain sur Seine, Les ex villes nouvelles de la première couronne parisienne …). Y a-t-il un message polémique, voire politique dans vos photos ?
Merci franchement d’avoir repéré cela. Psychologie et sociologie ne sont jamais très éloignées effectivement ! Je souhaite à la fois questionner sur l’avenir de ces endroits qui étaient des rêves d’urbanistes (en documentant la transformation des anciennes villes nouvelles, 50 ans après).
Les zones péri urbaines sont assez peu documentées. Je vis en banlieue et je traverse fréquemment ces zones urbaines périphériques où rien ne semble se passer. Le message est sociologique et certainement politique, vous avez raison. J’y vois des endroits que les villes tentent de « cacher sous le tapis » pour ne montrer que leur centre-ville rutilant.
Et de fait, le constat est parfois amer…
J’ai commencé les séries Villes nouvelles et Périurbain sur Seine en 2014 et 2015 à la suite d’un workshop avec Jean-Christophe Béchet.
J’ai eu beaucoup de doutes sur cette série car le sujet manque de glamour aux yeux des réseaux sociaux ou des amateurs de belles photos de paysage. Je photographie une France moche.
Mais les analyses de Jean-Christophe, la sélection de la série « Ex-Villes Nouvelles » dans le cadre du Festival photographique de l’Oeil Urbain et la demi page dans l’International New York Times m’ont convaincu du bien-fondé de ma démarche. Mon rêve serait maintenant de l’exposer en galerie et de faire vivre ces paysages hors de leurs contrées polémiques.
La géométrie des architectures, des bâtiments en béton, ultra-modernes ou en ruine, du mobilier urbain (enseignes, panneaux…) règne en maître dans vos photographies, même lorsqu’il y a des figures humaines au premier plan. L’artificiel l’emporte-t-il sur l’humain… ? En tant que psychologue, quel regard portez-vous sur cet aspect ?
Pour moi, l’artificiel est aussi dans l’humain, les deux ne s’opposent pas. Pour paraphraser un psychologue qui a bouleversé ma compréhension du monde, Paul Watzlawick, nous faisons nous-même notre propre malheur et c’est précisément cela qui m’intéresse. C’est nous, en tant qu’Hommes qui fabriquons nos contraintes et nos architectures aliénantes… Nous luttons pour retrouver du sens, pour nous libérer des chaînes que nous portons. Tout le monde parle de disruption à propos de l’économie, c’est aussi le cas avec les générations X, Y ou Z. La quête de sens passe certainement par l’abandon du réel. C’est peut-être pour cela que je montre ce réel dont j’aimerais certainement me séparer !
Paris, Londres, New York, Hong Kong, le Japon… les grandes capitales du capitalisme. Une destination à laquelle vous souhaiteriez consacrer une de vos prochaines séries ?
Je pars bientôt pour la Chine et j’avoue être assez fasciné par l’Asie. Sa croissance rapide me fait penser à un adolescent qui grandit trop vite ! C’est une idée à creuser certainement…
Si jamais vous deviez quitter l’humain/l’artificiel pour vous tourner vers un paysage naturel, lequel choisiriez-vous ?
Pas facile de sortir de sa zone de confort ! Mon cœur va à la Bretagne. J’aime ses paysages, son air, ses pierres sculptées par la mer et le vent. Et puis, pour rester dans l’humain, il se joue tellement de choses sur une plage qu’un photographe de rue y trouvera toujours son bonheur !
Crédit photos de l’article: © Philippe Blayo