En novembre 2013 le dictionnaire Oxford a nommé le mot selfie « Word of the year », en lui donnant la définition qui suit :
selfie: noun, informal (also selfy; plural selfies). A photograph that one has taken of oneself, typically one taken with a smartphone or webcam and uploaded to a social media website.
Aujourd’hui, en 2017, les selfies franchissent la porte du monde de l’art. En effet, la galerie londonienne Saatchi vient d’inaugurer une exposition particulière, la première qui remonte l’histoire de l’auto-représentation, à partir du XVI siècle jusqu’à nos jours. Elle s’intitule From Selfie to Self-expression et permet aux visiteurs d’admirer des autoportraits de Rembrandt, Van Gogh et Frida Kahlo, tout comme des selfies plus spontanés, comme ceux de Kim Kardashian, Tom Cruise et d’un macaque de l’île indonésienne de Sulawesi. Les selfie sont exposés côte à côte avec les œuvres de grands peintres du passé, bien que les curateurs de l’exposition ne les mettent pas sur un pied d’égalité esthétique. Au contaire, ils tiennent à souligner qu’il y a un clivage très net entre les uns et les autres. “Au XVI siècle, seuls les artistes avaient les compétences, les instruments et les matériaux pour réaliser des autoportraits”, affirme le directeur de la galerie Nigel Hurst, qui a eu l’idée de cette exposition. “Maintenant nous avons tous les moyens pour prendre un selfie, grâce à notre smartphone.”
Au début, Hurst avait imaginé une exposition de petite taille, mais, plus il a creusé le sujet, plus celui-ci a acquis de nouvelles facettes et perspectives. Le résultat est que les œuvres accessibles au public occupent deux étages et dix salles de la galerie. L’exploration du thème de l’auto-représentation commence par les autoportraits réalisés par des peintres célèbres, comme Rembrandt, l’artiste néerlandais qui, au XVII siècle, a réalisé des dizaines d’autoportraits en guise d’autobiographie. Les portraits peuvent être admirés grâce à des écrans numériques, qui permettent également aux visiteurs d’interagir, en laissant une réaction. De la même manière qu’on peut le faire sur les réseaux sociaux face à un selfie d’un proche ou d’une vedette.
Dans les salles suivantes il y a des autoportraits d’artistes contemporains comme Francis Bacon, Jean-Michel Basquiat et Tracey Emin. Certains sont plus délicats que d’autres, comme par exemple la photographie de Nan Golgin, intitulée Nan One Month After Being Battered (Nan, un mois après avoir été frappée). L’artiste l’a prise pour elle-même et pour les autres femmes, afin de ne jamais oublier les traces laissées par la violence qu’elle a subie par un de ses anciens compagnons.
Ensuite, il est possible de voir 50 photos d’identité de l’artiste colombien Juan Pablo Echeverri, un petit échantillon des milliers qui composent le projet démarré en 2000, quand il a commencé à se prendre en photo dans des photomatons. Dans la même salle les visiteurs peuvent contempler des images tirées de la série The Honeymoon Suite, signée par la jeune artiste anglaise Juno Calypso. Elles l’immortalisent, célibataire, pendant son voyage de noces (quel paradoxe!) dans un hôtel en Pennsylvanie, un endroit qu’elle a défini un « cauchemar gothique rose issu directement des années 60. ». Calypso a déclaré que son intérêt pour l’auto-représentation était purement pragmatique : « C’est par nécessité à vrai dire, il est très stressant pour moi de travailler avec autrui. »
L’exposition se termine avec une installation de l’artiste mexicain Rafael Lozano-Hummer et du polonais Krzysztof Wodiczko, composée de 12 caméras de surveillance installées dans la salle: « Le selfie n’est pas seulement une option, mais c’est quelque chose qui est en train d’emporter notre identité. Cette nouvelle forme d’expression, si on veut l’appeler ainsi, prédit une société sous contrôle permanent, qui efface toute vie privée. »
Les selfies de nos jours sont certainement différents des autoportraits peints du passé. “Le selfie permet aujourd’hui de dire au monde comment on voudrait être vus, plutôt que de raconter qui l’on est et comment l’on est.” a souligné Hurst. “Ce n’est pas un hasard si les selfies sont réalisés avec des paysages exotiques ou charmants à l’arrière-plan ou en vacances, quand on s’éloigne un instant de son quotidien, de la routine et de la normalité de sa vie. Via les selfies nous partageons non pas notre humanité, mais une version alternative de notre identité, celle que nous voudrions montrer aux autres.” Pour les curateurs de cette exposition à la Galerie Saatchi de Londres, cette forme d’auto-représentation est à enquêter en tant que nouvel instrument artistique de représentation de soi, en tant que témoignage d’appartenance. Il suffit de penser aux touristes qui prennent un selfie devant un monument pour immortaliser leur passage dans telle ou telle ville.
A l’occasion de l’exposition la galerie Saatchi a même lancé une collaboration avec Huawei en créant l’hashtag #SaatchiSelfie et en proposant un concours ouvert à tous les plus de 16 ans du monde entier, appelés à envoyer 6 selfies maximum chacun. Après avoir reçu 14 mille candidatures, le jury, composé de Tracey Emin, Idris Khan, Juergen Teller, Juno Calypso et du directeur de la Galeri Nigel Hurst) a attribué la victoire à Dawn Woolley et à son selfie The Substitute (holiday). Wooley a gagné un smartphone Huawei et la possibilité de voir son cliché (ci-bas) exposé dans l’exposition From Selfie to Self-expression.
“Le smartphone est devenu un instrument d’expression artistique. La génération du Millénaire est la génération de l’auto-expression. Chacun cherche à explorer et à partager sa créativité à travers le seul instrument auquel nous avons tous accès : le smartphone.” a commenté Gloria Zhang, cadre chez Huawei.