Nicolas Beaumont est un photoreporter spécialisé dans la photographie de missions humanitaires. Il collabore régulièrement avec des ONG françaises pour illustrer leurs activités en France et à l’étranger, notamment avec la Croix-Rouge française et Emmaüs. A l’heure actuelle, il se consacre à trois projets très différents les uns des autres. Un reportage en Ukraine sur les personnes déplacées suite à l’invasion du sud-est du pays, un reportage en Haïti sur les personnes handicapées et un reportage sur un exercice de médecine de catastrophe. A cela s’ajoute un sujet au Moyen Orient en cours de préparation sur la question des migrants. Sa photographie nous oblige à nous interroger sur les situations de crise humanitaire qui frappent le monde d’aujourd’hui.
La rédaction de l’imprimeur en ligne Stampaprint est allé à sa rencontre pour en savoir en peu plus sur sa démarche photographique. Tout de suite, les propos de Nicolas Beaumont que nous avons recueillis pour vous!
Bonjour, Nicolas Beaumont. L’en-tête de la section de votre blog contenant vos reportages est la suivante : « Allow people to see and understand », « Donnez à voir et à comprendre ». Qu’est-ce qui distingue un reportage d’un cliché isolé ou d’une série photographique quelconque ? Peut-être le but descriptif/documentaire et critique, subjectif à la fois ?
Je me rappelle d’une rencontre il y a quelques années qui répond bien à cette question. Je soumettais une image à un directeur artistique qui me disait « raconte moi une histoire avec tes images ». Je crois que la différence entre un reportage et une image ou une série c’est l’histoire que l’on raconte. Une seule image peut d’ailleurs raconter une histoire mais le centre de la volonté créative d’un reporter est de raconter quelque chose, de donner à voir évidemment puisqu’on est dans l’image mais aussi de donner à comprendre. Evidemment dans chaque situation, l’œil et l’intention de l’auteur intègre une partie de subjectivité. Mais là aussi il faut se poser la question, à la prise de vue, de ce qu’on veut dire, de ce qu’on veut montrer. Utilise-t-on uniquement son vécu pour montrer ou réussit-on à faire preuve d’empathie et à montrer aussi la subjectivité du point de vue du sujet. Le reportage est donc un travail de narration avant tout.
Vous le disiez tout à l’heure, vos reportages visent à « donner à voir et à comprendre » aux personnes qui regardent vos photos. Mais comment cela se passe-t-il chez vous ? Quelle est la démarche que vous suivez en amont, avant de photographier ? Vous regardez, vous observez, vous comprenez et ensuite prenez les photos ? Ou est-ce en photographiant que vous comprenez ce qui se déroule sous vos yeux ?
Ah vaste question ! Avec le recul je me rends compte, et c’est aussi ce qui ressort des témoignages des personnes qui regardent mes images, plus je comprends mon sujet avant de le photographier, plus mes images sont éloquentes. Je dirais donc que je dois commencer par comprendre avant de photographier. D’ailleurs c’est souvent ce que je fais avant de faire un portrait. Je « rencontre » mon sujet, je parle avec elle ou lui, je rentre dans son monde, dans son univers pour savoir qu’elle est la photo qui va au mieux la ou le représenter. Néanmoins, parfois, en photographiant je comprends encore un peu plus ce que je vois. C’est donc une démarche assez hybride dans laquelle la compréhension et la connaissance nourrissent la prise de vue et inversement.
Bien qu’intéressé par des sujets très variés, votre appareil photo guette de préférence des sujets humanitaires. Pourrait-on décrire votre photo comme « photo humanitaire »? Est-ce un genre ou une étiquette qui existe ? Ou qui d’après vous collerait bien à votre travail ? Ou s’agit-il plutôt de photographie documentaire tout simplement ?
Je ne crois pas que la « photo humanitaire » existe d’un point de vue académique, mais c’est une étiquette qui me plait. Certe c’est un travail documentaire en ce sens que je documente les activités humanitaires. Mais le mot « humanitaire » est primordial, je travaille avant tout avec des humains et pour des humains. J’essaye de donner une image positive et digne des sujets que je traite. Il ne faut pas se mentir non plus, mes clients attendent ce point de vue également. Mais c’est avant tout une sensibilité personnelle. Alors non, ce n’est pas juste de la photo documentaire.
Plusieurs de vos séries sont consacrées à des entraînements ou répétitions de la Croix-Rouge, des sapeurs pompiers, des spéléo-secouristes etc., que vous immortalisez dans des situations de danger simulées. Pourquoi ce choix précis ? Qu’est-ce que ce côté fictif, de risque simulé donne à vos reportages ? Illustrez deux de ceux-ci aux lecteurs du blog WE.
En effet une partie de mon activité est consacrée à des exercices. Plusieurs raisons expliquent ce choix. Dans le domaine de l’urgence au sens large, l’exercice est partie prenante du savoir-faire des acteurs. C’est en s’exerçant que les femmes et les hommes restent au top de leurs connaissances, aiguisent leurs réflexes et apprennent de nouvelles techniques. De plus pour un photoreporter il s’agit de conditions de travail plus confortables. Les reportages sur les exercices permettent donc de montrer la réalité de l’activité en minimisant les risques pris pour faire les images.
J’ai travaillé sur l’exercice annuel de médecine de catastrophe du SAMU de Paris à plusieurs reprises. Les situations sont diverses : prise d’otage dans un avion, attaque chimique, etc… Ce sont des situations que l’on ne pourrait pas photographier hors contexte d’exercice. La magie de l’exercice est donc de capturer des images qui seraient imprenables dans le réel. Comment prendre en photo des médecins en combinaison NRBC (Nucléaire Radiologique Bactériologique, Chimique) qui prennent en charge une personne exposée à un gaz neurotoxique ? Et puis il y a un autre aspect, heureusement ces situations sont rarissimes, voire inexistante dans la « vie réelle ».
Idem sur des grosses opérations de sauvetages suite à un tremblement de terre avec des victimes ensevelies. Il est assez compliqué de pouvoir embarquer avec une équipe de sauvetage pour se rendre sur le terrain d’un séisme et le travail sur place est très risqué. Pendant un exercice on peut se placer sur des murs, sous des décombres ou aux côtés des victimes pour photographier la progression des sauveteurs. Par exemple pour illustrer l’utilisation d’un outil comme une disqueuse pour découper un mur, il n’y a qu’en situation d’exercice que l’on peut se mettre derrière le mur et voir les sauveteurs pendant le travail de découpe.
Votre travail vous amène à beaucoup voyager. Vous avez été deux fois en Chine, en Mongolie, en Thaïlande, au Laos, en Malaisie, en Birmanie, à Singapour, en Russie, etc. L’Orient l’emporte de toute évidence : qu’est-ce qui vous séduit tant ?
En effet je suis souvent entre deux avions. Je vais là où mes clients ont besoin de moi et ces derniers mois mes déplacements furent plutôt africains, avec un très long séjour en Guinée pour couvrir la crise Ebola en Guinée. Mais j’ai commencé ma carrière en Asie du Sud est et je reste très attaché à cette région du monde. Difficile de dire pourquoi mais je m’y sens bien. J’aime le calme asiatique et la frénésie urbaine des grandes villes comme Bangkok, Kuala Lumpur, Shanghai ou Pékin. J’aime rencontrer les habitants, je les trouve accueillants et sincères, en tous cas avec moi. Je me souviens d’une discussion avec une vieille femme népalaise dans un monastère qui m’avait permis de faire une photo qui m’a accompagnée pendant longtemps. Ou de cette rencontre dans une yourte de la banlieue d’Ulan Bator avec une famille dans une extrême précarité qui m’avait accueilli à bras ouverts. L’Asie c’est un peu une histoire d’amour ! Et j’y retourne régulièrement pour m’y ressourcer d’ailleurs.
Vous avez même été à Haïti en 2012, un an et demi après le séisme de 2010. Quel était votre projet ? Qu’est-ce qui en est ressorti ?
Je suis parti pour faire un reportage pour la Croix-Rouge française de manière à faire un bilan sur les activités de cette organisation. Ce fut l’occasion de travailler dans un contexte de post-urgence à l’international, de découvrir les camps de réfugiés, les familles endeuillées ou la colère de certaines personnes vis-à-vis de l’aide internationale. Après une période de prise de vue très courte, de sept jours, je suis rentré en France pour faire l’éditing et écrire un rapport d’activité d’une cinquantaine de pages. Au-delà de ma mission, j’ai découvert un pays merveilleux malgré une situation économique et sociale très précaire.
Votre appareil photo s’attarde également sur des manifestations sociales Vous-laissez vous impliquer par les revendications des sujets qui avancent leur revendication ou cherchez-vous à garder du recul ? Décrivez une des manifestations sociales que vous avez prises en photo.
Pour le coup, dans le cas particulier des mouvements sociaux, je reste très loin des revendications et je cherche juste à illustrer de manière froide l’événement. Les manifestations qui m’intéressent sont celles en rapport avec mes domaines de prédilections : médecine, soins infirmiers, soins d’urgence, solidarité, etc…
J’étais présent lors des manifestations des médecins et d’internes il y a quelques années, je voulais montrer ces gens, souvent perçus comme des nantis, dans la simplicité de leurs revendications. Au lieu de rester en tête de cortège avec la plupart des journalistes, j’ai décidé de me mêler à la masse des manifestants, de vivre le défilé avec eux et d’en capturer quelques instants.
En quelques mots…
Le pays qui vous a le plus surpris (par rapport aux attentes que vous aviez)
Indéniablement la Chine.
La situation la plus risquée dans laquelle vous vous êtes retrouvé
Lors d’un reportage sur le sauvetage spéléo, je me suis retrouvé à devoir descendre sous terre et j’entends encore les conseils dans spéléo aguerri me dire « descend tout droit jusqu’à la pointe, baisse bien ta tête pour ne pas toucher le plafond parce que ça s’effrite et tourne à droite parce que si tu continues tout droit, il y a un trou ». J’étais terrifié mais comme tout le monde semblait détendu, je suis descendu à plat dos avec mon équipement. Je ne crois pas que c’était risqué avec le recul, mais je ne faisais pas le malin dans ce trou.
Un endroit que vous avez exploré et où vous vous êtes dit que vous pourriez bien vous y installer
Le Laos, et en particulier les bords du Mékong à Ventiane ou à Luang Prabang.
Le voyage le plus épanouissant d’un point de vue humain…
Difficile de répondre sans vexer les gens que j’ai croisé, je crois que ce sont mes séjours en Asie qui m’ont le plus épanoui mais je suis incapable de choisir un voyage en particulier. Peut être les quatre mois que j’ai passé à relier Moscou à Katmandou sans prendre l’avion, uniquement avec des moyens de transports terrestre : train, bus, vélo, etc…
… et le plus épanouissant d’un point de vue professionnel
Alors là, sans hésitation, la Guinée pendant l’épidémie Ebola. J’ai passé un peu moins d’un an à photographier tous les aspects de cette épidémie et j’ai énormément progressé dans mon rapport aux autres. Sans doute parce que les situations de prises de vue étaient assez extrêmes. J’ai travaillé plusieurs fois dans un centre de traitement Ebola, en combinaison de protection, dans la zone à haut risque pour filmer et photographier.
Crédit photos de l’article: Nicolas Beaumont